La France, donc.
La belle France, fan de la séparation des pouvoirs et de la liberté d’expression. Celle qui passe par-dessus la justice pour fermer des sites Internet (loi antiterroriste du 15/11/2014) car « nous sommes en guerre… Face à cette situation de guerre, nous devons manifester notre unité » (E. Ciotti) ? Celle qui n’hésite pas, comme a si bien su le dire le député Alain Tourret du PRG, à « suspendre des libertés démocratiques » ? La France qui remet au goût du jour la censure sur ordre administratif ?
Déjà, après le 11 septembre 2001, lors du vote de la n-ième loi antiterroriste, la LSQ, le sénateur socialiste Michel Dreyfus-Schmidt disait : « Il y a des mesures désagréables à prendre en urgence, mais j’espère que nous pourrons revenir à la légalité républicaine avant la fin 2003« . Nous savons ce qu’il en a été : de nouvelles lois « antiterroristes » (15 depuis 1986) ont été votées sans revenir pour autant à la « légalité républicaine »… Un journaliste se demandait fin 2014 : « l’escalade sécuritaire tourne-t-elle à l’hystérie ?« . D’autant plus que les dispositions antiterroriste s’étendent toujours. Par exemple, le filtrage d’Internet concerne aussi la prostitution ou le Ministère du Budget qui « doit savoir en temps réel qui parle à qui, qui dit quoi, et qui se trouve où, en « sollicitant » en temps réel le réseau. Sans passer par une demande d’autorisation préalable de la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité. »
Mais voilà que Charlie Hebdo est attaqué le 7 janvier et, dès le 12, la nouvelle loi antiterroriste (pour le 21/01 d’après Valls, la 3e sous Hollande) pointe son nez alors que les précédentes n’ont pas particulièrement brillé par leur efficacité. En matière d’efficacité, un bilan devait être fait fin 2003 de la LSQ d’octobre 2001. Bilan qui n’a, bien entendu, jamais été fait. Donc, comme on ne sait pas si c’est efficace, autant en rajouter une couche en matière d’écoutes, d’arrestations préventives, de censure sur Internet : « Je ne veux plus que, sur Internet, on puisse avoir ces mots effrayants de haine » martelait Valls le 12 janvier. Pensait-il alors à Marie-Claire dans le live du Monde du 7/01 : « Moi, tout ce que je souhaite à vos chers déséquilibrés, c’est douze balle dans le corps, plus une dans la tête » ou à Absurde : « Tumeur cancereuse que les communautes musulmanes, qui effectivement ne partagent aucune culpabilite collective, ont cependant laisse croitre parmi elles dans le deni paresseux et lache du « cela, ce n’est pas l’Islam » » (sic) ? J’en doute…
Les Français se sentiront-ils plus protégés et/ou plus à l’abri grâce à ces multiples lois ? Peut-être. Mais quid de la liberté qui a fait descendre des millions de personnes dans la rue ce week-end ? Les journalistes devraient tous se souvenir des « plombiers » du Canard Enchaîné, de Gérard Davet et Fabrice Lhomme placés sur écoute par Sarkozy, de ces deux derniers et de quatre collègues menacés de mise en examen dans l’affaire Bettencourt, de la bloggeuse Caroline Doudet condamnée à une amende pour avoir critiqué un restaurant sur son blog. On peut également douter de l’efficacité réelle de cet arsenal car, que ce soit les auteurs de l’attaque contre Charlie, ceux de l’attaque Porte de Vincennes ou Merah, ils ont un point commun : ils ont tous été surveillés par la police, la DCRI ou même les Américains.
Nous devrions nous demander où veulent exactement en venir certains comme Christian Jacob : « A circonstances exceptionnelles, il faut une loi exceptionnelle que nous devons voter sans trembler. Pour que les choses soient claires, si nous devions, pour un moment, restreindre les libertés publiques et la liberté individuelle de quelques-uns, il faudra le faire. Le faire en condamnant durement les personnes qui consultent de manière habituelle des sites internet qui font l’apologie du terrorisme. En censurant les sites et les chaînes de télévision qui véhiculent la haine. En autorisant nos services à arrêter des terroristes en puissance dès lors qu’on les soupçonne de préparer une action « . Qui sont ces médias ? Al-Manar ou Fox News ? Rush Limbaugh ou Salman Rushdie ? « Inspire » ou « Charlie Hebdo » ? Sans compter que cela pose un problème légal et moral (DUDH Art.7 à 11) d’arrêter des personnes « en puissance », « soupçonnées de préparer ». Où commence le soupçon, où commence la « préparation » ?
La liberté d’expression et d’opinion doit être la même pour tout le monde, pour les manifestants contre Sivens (dont les manifestations ont été interdites), comme pour les manifestants pour Charlie. Pour ceux qui applaudissent sur Twitter aux bombardements israéliens sur Gaza, comme pour ceux qui arborent un t-shirt « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » visant Israël. Pour le caricaturiste Latuff, comme pour ceux de Charlie. Et ne pas se contenter de défendre cette liberté seulement et seulement si le contenu nous agrée…
Alors ? Tous Charlie ?
Cf. www.demotix.com/news/6623062/over-120000-take-streets-toulouse-je-suis-charlie-rally